Après l’aillet, le poireau de vigne, la fleur d’amandier, l’asperge est un des symboles de la renaissance de la Nature. Celles-ci, encore frêles sont les premières de la saison. « En retard ! » trancheront les foodistes speedés* qui ce matin courent déjà acheter leurs premières fraises de la saison. Il faut savoir qu’ici, la dame du Minervois qui me les vend, comme beaucoup de producteurs paysans du Midi, du Sud-Ouest, les cultive en plein champ, et non pas en serres, encore moins chauffées. N’empêche que malgré leur calibre presqu’espagnol**, elles offrent cette sensation d’une chair fondante, légèrement sucrée, sans âcreté.
Cela dit, ce n’est pas de méthodes culturales que je veux vous entretenir mais du sol, du « climat » qui donne naissance à ses asperges et, vraisemblablement, leur confère cette estimable douceur. Car si on nous en rebat les oreilles avec le vin, je défends l’idée que le terroir façonne aussi bon nombre d’autres productions agricoles qui font la richesse des marchés de campagne.
J’entends déjà les ultra-libéraux anglo-saxons (et certains néos) monter au créneau. Dans le Mondovino, ils ont largement exprimé la thèse selon laquelle le terroir est une chimère. Pour eux, c’est une certitude. Quand nous buvons du bordeaux, eux dégustent un cabernet, notre champagne ne représente à leurs yeux qu’un chardonnay effervescent. Ont-ils tort, avons-nous raison? Comme souvent, la vérité équilibre les extrêmes. Si trop de terroirs mineurs, nés d’opportunités historiques (généralement liées aux possibilités de transport, à des zones de chalandise), sont, abusivement, par tradition commerciale portés au pinacle, il est difficile de contester (et plus encore dans le temps) l’impact du sol sur ce qu’il produit. Sauf à être équipé d’un bec-en-zinc (et/ou être élevé au légume anglais parfumé à l’eau triste***).
Hélas, on voit rarement un cultivateur de pommes, de tomates, de fraises évoquer la géologie de ses parcelles. Et c’est dommage! Même si elle s’est parfois auto-ringardisée dans de vaseux méandres administratifs, l’appellation d’origine pourrait être un efficace rempart contre les excès de la mondialisation, de l’uniformisation. Et contre le hors-sol, en passe de devenir une nouvelle normalité.
Pourtant, rien qu’autour de moi, je pense aux cerises de Saint-Pons, de Caunes-Minervois, au navets du Pardailhan, ou tout bêtement à ces cornues-des-Andes au goût puissant cultivées l’été dans les jardinets posés sur les graves des petites rivières qui dévalent de la Montagne noire.
Mais revenons-en aux asperges qui illustrent mon propos. Elles proviennent de la bourgade de Puichéric, au bord du canal du Midi et du fleuve Aude, jadis connue pour sa fête de la tue-cochon. Une partie du territoire de la commune, comme de cinq autres des environs, était occupée par un immense étang, asséché tardivement après plusieurs tentatives infructueuses débutées au Moyen-Âge. Les sols y sont généralement très fins, sablonneux****. Suivant les endroits, on y trouve des pommiers ou même des rizières*****.
Pour ce qui est du vin (on est à la jointure des parties basses du Minervois et des Corbières, réceptacle durant les inondations des eaux des montagnes environnantes), l’endroit est considéré comme mineur, mais c’est justement par sa relativité que la notion de terroir est validée, par son impact sur ce qu’on y produit. Le vin y est médiocre mais les asperges, grandioses******. Car en fait, ce que nous appelons « terroir » est aussi une prédestination naturelle à tel ou tel type de culture.
Évidemment, sur de si belles asperges (surtout les premières), on ne s’amuse pas trop à cuisiner, en tout cas à masquer. Un coup de vapeur, quelques cristaux de sel de Gruissan et une giclée d’huile d’olive. Là, par chance, j’en ai une splendide sous la main, une histoire de famille (par alliance…). Il s’agit de picholine, avec peut-être un peu de négrette-du-Gard. Là encore, le terroir; elle provient des environs de Sommières, de l’autre côté du Pic Saint-Loup, n’a pas de marque (je rapapège, mais encore une fois, revenir au terroir est l’opportunité, comme je le disais plus haut de se débarrasser des marques) et est ignorante de la chimie de synthèse.
Car, rappelons-le aux gougnafiers, le terroir n’est pas une baguette magique. Il est tolérant, généreux, inspiré, mais si on y impose des méthodes culturales indignes*******, qu’on en fasse uniquement un terroir-caisse, il vous rendra la monnaie de votre pièce!
*C’est moche de dire du mal des morts, mais comment ne pas repenser à cette chronique sur Robuchon, les asperges et le réchauffement climatique?
** Il n’est évidemment pas question ici des superbes asperges blanches de Navarre (les vraies, pas les odieuses copies chinoises qui ont envahi le marché outre-Pyrénées!) mais de ces tiges vertes, coriaces, faméliques, rêches au palais qu’on fourgue aux pigeons, français compris, enrobées de plastique bariolé, après un long voyage parfumé au gazole sur les autoroutes européennes.
***J’ai ainsi le souvenir de pauvres fenouils achetés fort cher dans un marché huppé de Londres qu’il avait fallu arroser de pastis pour qu’on leur trouve autre chose qu’un arôme de robinet.
****Ce qui n’est évidemment pas le cas de tous les sols sablonneux. Faut-il entre autres, rappeler que du sable, on en trouve à Rayas?
*****On y récolte d’ailleurs d’excellents riz, localement réputés, mais peut-être insuffisamment mis en valeur pour que leur notoriété dépasse les frontières du département de l’Aude.
******On dénombre une dizaine de producteurs d’asperges dans les environs, ainsi qu’à Saint-Couat où j’aime bien aussi me fournir. Beaucoup plus à l’aval, à Villedaigne, on s’intéressera également à la production certifiée bio de la famille Soula. En quittant l’Aude, l’asperge demeure un belle production du grand Sud-Ouest, avec des zones propices, comme la plaine alluvionnaire gaillacoise, le Blayais, ou l’Agenais.
******* Je n’en reviens toujours pas de cette vision d’horreur, hier en allant au marché d’Olonzac où j’ai acheté les asperges. Là, pourtant, on n’était plus au bord de l’Aude, mais plus haut, en approche de La Livinière, vers Cesseras, avec l’impression sur des hectares et des hectares qu’une machine à remonter le temps nous avait ramené aux années soixante: « saint Glyphosate, priez pour nous! » Quasiment du land art…
A contrario, on saluera la décision des vignerons de l’AOP Patrimonio qui ont décidé d’un commun accord de prohiber l’usage des désherbants de synthèse dans les vignes de l’appellation. Plus d’infos ici.