Oh, je sais, je vais passer pour un snob, mais j’avoue qu’il y a des raisins qu’on regarde avec un tout petit peu plus de tendresse que d’autres. Ceux-ci par exemple, immortalisés aujourd’hui à Cornas chez Thierry & Théo Allemand du (célébrissime) domaine éponyme*. Reynard 2020. Déjà, on rêve, on se projette au fond d’un verre magique, dans une dizaine d’années…
En cette année où le Tour de France démarre (théoriquement) à la fin de la semaine, on ne s’étonne plus de rien. Notamment de la date où est photographiée cette noble cuve de syrah; selon le calendrier, nous sommes le vingt-cinq août.
La vallée du Rhône n’a d’ailleurs rien d’une exception. Tant pis pour les vacances, on a ramassé des blancs le deux août à Fitou! Haut dans la montagne audoise, à Roquetaillade, on n’a pas attendu l’Assomption pour couper les chardonnay de notre champagne du Sud. De grands domaines bourguignons cueillent leurs pinots noirs depuis une semaine dans les grands crus, en Beaujolais les degrés sont là (ci-dessus chez Charly Thévenet en Morgon) tandis qu’on rentre des syrahs au Pic Saint-Loup, des grenaches dans les Alpilles. Alors qu’hier un journaliste m’appelait pour « me demander mon avis sur le millésime », j’ai même vu ce matin une benne de mourvèdre en Terrasses du Larzac (j’imagine pour des rosés), dépêchons-nous d’écrire notre lettre au Père Noël, c’est déjà demain…
Alors évidemment, le réchauffement climatique, l’exceptionnelle précocité du millésime n’expliquent pas tout. Peut-être certains, alors que les orages économiques menacent, préfèrent assurer, mettre la récolte à l’abri. Et puis, incontestablement, la surmaturité a fait son temps. Malgré la sucrosité des palais contemporains défoncés au Coca-Cola, la tendance au vin plus digeste, plus frais s’accentue. Ici, en Minervois, un ami (qui a rentré ses blancs la semaine dernière) riait de voir qu’il avait été le premier du village à sortir les comportes lui qui faisait faire un sang d’encre à son pauvre père qui se lamentait il y a quelques années de le voir toujours partir le dernier à la vendange. « L’époque est à la tension » admettait-il alors que la plupart de ses voisins écoutent encore les vieux tubes américains des 90’s
Cette tension, cette fraîcheur, encore faut-il ne pas les mettre à toutes les sauces. Car ça, le coup du « pinot de grenache », on nous l’a fait et refait ces dix dernières années**, éventuellement dopé par le petit coup de volatile qui va bien, auquel cas la « fraîcheur » devient une « belle fraîcheur ». Une sacré verdeur en tout cas qui pète (visuellement) autant que les merveilleux piments que Fanny m’a apporté des Corbières, dignes des meilleurs herbón*** galiciens. Mais eux, malgré leur teinte, étaient mûrs contrairement à ces vins méchamment acides que le temps rend maigres et acerbes.
Une fois de plus, les vrais vignerons feront le tri entre le bon sens et la mode. Quant aux bricolos…
Autre fait marquant de ce millésime bizarre, le manque de personnel. Depuis des mois, dans les domaines, on court derrière les vendangeurs (masqués), une denrée rare compte tenu de la situation sanitaire. Quel dommage qu’il n’y ait pas de chômeurs en France, ça aurait permis de boucher les (nombreux) trous…
Une aubaine donc pour les vendeurs de machines-à-vendanger qui bénéficient en plus d’un gros coup de pub, cette photo iconoclaste prise en pleine Montagne de Reims à quelques kilomètres de l’emblématique abbaye d’Hautvillers. Vous le savez, par décret, la cueillette est obligatoirement manuelle en Champagne comme dans tous les appellations effervescentes françaises de qualité. Mais là, au domaine Didier Chopin, à Champlat-et-Boujacourt, le propriétaire envisage de produire du vin tranquille en lieu et place des célèbres bulles. Une situation étrange, symptomatique de la crise que traverse la région et donc finalement typique des drôles de vendanges d’un drôle de millésime. Espérons au moins qu’il sortira un beau bébé de cet accouchement douloureux. Sans vendre la peau de l’ours, la Nature semble nous le promettre.
*Au cas où, mais vraiment au cas où, lisez ça.
**J’en parlais ici en 2012.
***On va laisser les padrón (éventuellement made in PRC) et leurs résidus de pesticides aux touristes en pantacourt de la Boqueria et leur préférer ces authentiques galiciens, cultivés au jardin.
Innover en Champagne avec un vin tranquille récolté à la machine… M’enfin.
Mais je voulais surtout ajouter qq mots pour aller dans le sens de ton post et de ces « droles de vendanges » : Je rentre du pays du Muscadet ou une bonne partie des vignerons bio ont commencé les vendanges ce lundi 24 aout. La saison a été belle et pourtant elle a été chamboulée par :
– les chaleurs du debut Aout qui ont stoppé la maturation
– et les pluies qui tombent depuis et qui diluent les jus
…résultat; certains seront bien contents si leurs vin atteignent 11°.
Rechauffement et vins légers…une drole d’équation
« Réchauffement climatique » est un abus de langage, on devrait parler plutôt de « déréglement ».