Il y a des régions comme ça, telles des îles, des refuges dans une France qui, entre zones commerciales, enseignes à vomir, cancer pavillonnaire, architecture « de conseil général » s’enfonce gaiement, résolument dans la mocheté. On les compte sur les doigts des deux mains, de la Bretagne à la Corse en passant par Ré, le Pays Basque, la Gascogne, l’Alsace, le Quercy, la Savoie… des « destinations de riches » comme disent les rageux qui, soyons honnêtes, finissent souvent par pâtir de leurs avantages, envahies qu’elle sont par la voracité touristique.
Le Luberon, « mon » Luberon fait évidemment partie ce ces « îles de beauté » qui peuvent vous émouvoir aux larmes. Non pas que tout y soit irréprochable, loin s’en faut. Là aussi la France moche progresse, mais l’on y sent de Lourmarin à Ménerbes, ce soin, ce respect de la Nature, du Patrimoine, rendu possible, certes par l’argent* mais surtout par la culture. La culture du quotidien, des petites choses, qui préfère rafistoler, restaurer le vieux volet de châtaignier du papet plutôt que d’acheter dans une banlieue sordide une merde en plastoc chinois, qui prend davantage de plaisir à planter un arbre qu’à l’arracher, qui préserve un vieux panneau de signalisation émaillé au lieu de le recouvrir brutalement, bêtement.
Le beauté (sous toutes ses formes) a évidemment un prix. Un séjour en Lubéron peut rapidement coûter cher, très cher. Le logement, la restauration, les innombrables pièges à touristes… pourtant, il existe encore des chemins de traverses, des tables amicales (y compris célèbres**) où l’on n’est pas nécessairement pris pour un Parisien, des marchés colorés comme des peintures du XXe siècle. Tenez, j’ai acheté au marché de Coustellet mes plus belles tomates de ce début de saison: 2,50€, bio, des russes, des ananas et des roses, parfaitement mûres, douces comme des pêches mais finement acidulées; à table, les petites pleuraient pour qu’on aille en tailler une autre livre, telles quelles (surtout pas mondées!***), juste salées, poivrées, aillées, arrosées d’une belle aglandau des hauteurs de Cucuron. Avec un peu de chèvre de Saignon et ce qu’il faut de pain, ça nous aurait fait le dîner!
Enfin bon, ça nous aurait fait le dîner, sans compter le vin évidemment! Car vous savez tous comment s’appelle un repas sans vin: un petit-déjeuner… Alors, on a bu du rosé (de luxe) sur les tomates, du « rosé-piscine », une merveille de la côte**** mais le vin dont j’ai envie de vous parler était en apparence de bien plus modeste extraction. Le genre d’étiquette qui n’a guère de chances de monter à la capitale, trop paysanne sûrement, pas assez raconteuse d’histoires (vraies ou fausses peu importe). Trop vraie finalement, davantage adaptée à de vulgaires brochettes de broutard des garrigues à la braise de grenache qu’à une noisette de tofu fumé au jus de betterave fermenté aux herbes du bas-Turkmenistan.
Au vu justement de l’étiquette, les experts es expertise interjetteront appel: il ne s’agit pas d’un côtes-du-luberon mais d’un simple vin de pays du Vaucluse. On leur répondra sans trop s’en faire que depuis quarante ans le Luberon a tellement grandi, vers le nord notamment, englobant Gordes dans les Monts du Vaucluse ou Forcalquier dans les Alpes de Haute-Provence, qu’on n’en n’est plus à ça près, il finira un jour en Hermitage… Plus sérieusement, Flassan où est produite cette joyeuse syrah est une commune située au centre de l’AOC Ventoux à laquelle sont versés les vins luberonnais d’Apt, Roussillon ou Gordes.
Loin des histoires administratives, ce vin charnu et frais me rappelle le Luberon de mon enfance, agricole et jovial. Une Provence de l’intérieur, ou « intérieure », plus retenue peut-être que celle de la Méditerranée, riche sans ors, ne détestant pas le velours usé, les indiennes, les cotonnades élimées pour peu qu’elles soient de qualité. En buvant le vin de Paul Vendran, dont je n’ai pas encore visité la ferme Saint-Pierre alors que j’adorais déjà le 2018, on parle avec gourmandise de la chasse aux bartavelles, des alouettes-sans-tête aux olives-de-nyons, de gibassier.
Il nous raconte aussi d’une agriculture qui ne fait pas semblant, qui vinifie ses raisins propres naturellement***** sans se sentir obligée de nous infliger un désespérant, un pseudo « goût nature » simplet****** en vogue chez les vendeurs de fringues avides d’étiquettes ostentatoires et qui n’est autre que celui du vin bâclé, du vin raté, du vin piqué. À moins de 10€, sa droiture, rare dans le Mondovino, nourrit autant qu’elle désaltère.
*Là aussi, le serpent se mord la queue, l’argent est venu car auparavant on avait eu la culture des petites choses, qu’existait le respect des petites choses. Des grandes aussi.
**Quel moment magique encore auprès de la fontaine du Mas de la Fenière. Il n’y a que Reine pour me faire avaler un brunch. Enfin, un brunch aux pieds-paquets! Au fait, Sam’, moi aussi j’avais le larmou…
***La belle tomate mûre ne mérite pas ce traitement de choc, sa peau est aussi fine et douce que celle d’une belle femme! Il n’y a qu’en Espagne, à Barcelone, que je faisais ça, pour camoufler la misère…
**** Vous l’avez reconnu? ↓
*****Le vin de Paul Vendran, certifié bio, est vinifié sans sulfites, ce n’est pas suggéré mais explicitement revendiqué. Goûtez aussi ses grenaches. Désolé, je ne lui connais pas de site Web.
******Notamment par le biais de la sur-utilisation de ce rouleau-compresseur technologique qu’est la carbo, la macération carbonique qui peut avoir son utilité pour passer de mauvais raisins mais efface terroir, cépage, etc.
La ferme St-Pierre, M. Vendran. Je téléphone afin d’être sûr que le caveau soit ouvert le samedi 15 août, on me confirme que oui. On venait pour l’ouverture à 14h. Arrivés sur place M. Vendran très désagréable, il s’est levé à 5h du matin, mangeait… Je lui explique que j’ai téléphoné… encore plus désagréable du coup car il se sent obligé de nous « accueillir » (si on peut utiliser ce terme). Peut-être que ses vins sont bons mais on ne le saura jamais, on est partis…
C’est triste, ça. Sans chercher d’excuses, 15 août, approche des vendanges…