Dans ce blog, comme un peu partout dans le Mondovino, on ne parle finalement que d’élitisme, de bouteilles « imaginaires » pour le commun des mortels. Le vin populaire, celui des « gens », des « anonymes », pour reprendre les terminologies de l’époque, il n’en n’est jamais question chez ceux qui, comme moi, passent leur temps à enculer les mouches liquides. Pourtant, quand on roule sur l’autoroute, dans la plupart des régions qui vénèrent Saint-Vincent, cette boisson de masse est partout, ces immenses vignes plates comme la main dont la géométrie dessine le paysage. Pourtant, ces volumes qu’on tait constituent le gros de la troupe.
Bien que contemporain du splendide litron 5 étoiles, du bougnat moustachu, plus rutilant de teint que la robe de son 11°, délivrant le rouquin à la tireuse, éventuellement en casiers bois*, depuis que je suis petit, j’entends parler de la crise pinardière, de la bibine, des viticulteurs en colère. Et une fois de plus nous y sommes. À Bordeaux, en Languedoc, dans La Mancha, les cuves débordent. En fait, partout en Europe, et dans le Monde, où le vin industriel (mais pas que) se retrouve dans une impasse.
Impasse conjoncturelle, certes, la filière est une des grandes victimes du virus**. Mais comme le souligne avec pertinence Marion Ivaldi-Sepeau dans l’éditorial de Vitisphère, « le Covid-19 aura ainsi le mérite d’être un parfait écran de fumée sur les failles saillantes de certaines catégories de vin »***. Car voilà que les technocrates, appuyés par les syndicats agricoles, ressortent la baguette magique, so 70’s, de la distillation. Les hectos qui encombrent au point pour certains de ne pas savoir où rentrer le raisin des prochaines vendanges, on va le passer à la chaudière. Remarquez, maintenant que les fonctionnaires acceptent enfin qu’on en fasse du gel, de la solution hydro-alcoolique, ça peut servir****…
Automatiquement, comme le suggère l’édito sus-cité, se pose une question de bon sens: doit-on se contenter de régler le problème de la surproduction ou, soyons clairs, de la mévente de vins dont personne ne veut par une distillation massive? Doit-on replâtrer un mur qui s’effondre depuis cinquante ans? Dans l’immédiat, sûrement, malheureusement. Mais ne faudrait-il pas assortir cette mesure d’urgence d’une véritable réflexion sur le devenir du vin populaire*****?
C’est le rôle de l’État, et plus encore de la filière de s’y engager car le débat doit rester concret, pratique. Les chantiers ne manquent pas pour aider la production à parler, de la vigne à la bouteille, le langage d’aujourd’hui. Quand va-t-on inciter la coopération, cette belle endormie, à entrer enfin dans le XXIe siècle, à accroître sa professionnalisation, à résolument s’engager dans le bio, à vinifier « tendance »******, comme le montrent des exemples qui marchent? Qui expliquera au négoce que l’importation de vinasse à bas coût pour satisfaire aux exigences de la GD nous amène à des maux équivalents à ceux qui nous ont offert la pandémie? Tout en intégrant à la réflexion un aspect essentiel, la révolution des systèmes de distribution, et notamment l’inéluctable explosion de la vente en ligne constatée dans les pays anglo-saxons. Et en incitant l’État à moins se soumettre aux médecins de bureau, aux prohibitionnistes subventionnés pour encourager la consommation de vin populaire bien fichus à la place des alcools violents et des antidépresseurs de Big Pharma (comme on maugréent aujourd’hui les jiléjône en allant chercher leur ration gratuite de médocs).
Ici comme partout, le vrai populisme consiste à cacher la vérité, à laisser croire que les mêmes erreurs sont inéluctables, que tout progrès est impossible. Gardons-nous en comme de la peste, et n’oublions pas que, sauf en Armagnac, en Charentes, la finalité du vin n’est pas l’alambic.
*J’ai encore le souvenir olfactif (agréable je l’avoue) du pinardier d’une ruelle du centre d’Albi, cette odeur de gaillac aigrelet en route pour la piqûre, rehaussée d’une pointe de futaille moisie. Ce n’est pas du second degré!
**J’en ai vus des oracles qui riaient, qui ricanaient quand je parlais ici des dégâts prévisibles de ce qui n’était encore qu’un début d’épidémie sur la filière-vin.
*** »Certaines catégories de vin », j’adore cette pudeur, la même qui dans la bouche des technocrates transforme les banlieues en « quartiers », leurs délinquants en « jeunes »…
****Pour ceux qui ne sont pas au courant de ce scandale, résolu depuis, c’est ici.
*****Réflexion déjà entamée à l’aube du siècle par Jacques Berthomeau (tu vois, vieux grigou, je ne t’oublie pas…) avec un rapport rédigé à la demande du Ministère de l’Agriculture, rapport à partir duquel il faudrait sûrement repartir en l’enrichissant des apports positifs ou négatifs du monde d’aujourd’hui.
******Mais pitié, pas en bricolant à coups de flash-pasteurisation des vins « nature » aussi vivants que du Caprice des Dieux!
« les mouches liquides »… ça fait sourire bien que je ne comprends pas trop .