À la chambre d’hôte, chez les Saint-Ex*, on avait du attendre devant la porte de la salle de bain. Ou dans la piscine qui donne sur les vignes, je ne sais plus. Les filles s’étaient faites jolies. Et ça tombe bien, elles l’étaient. Très.
Sophie, Anne-Sophie, Aurélien et moi. Le 4 août, un privilège depuis aboli. Il faisait chaud, très chaud, même sur le piémont héraultais, alors que la route transpire pour monter à Vailhan.
Äponem**. Un lieu, une soirée magnifique. Peut-être pas ma cuisine de prédilection, mais ça tombait juste, une sorte de féérie et une ou deux belles bouteilles comme ce pinot noir 2015 tourangeau*** (le vin le moins cher de la carte) descendu d’un trait. Le service d’une beauté andalouse, la précision de Gaby, maîtresse-femme, la timidité d’Amélie, cette vue à couper le souffle sur le couchant. Le champagne en terrasse, le bain de deux heures. Ils avaient même essayé de me faire boire la bière qui sent le vomi…
Sans remonter à l’été dernier, vous vous souvenez de votre dernier repas au restaurant? Un déjeuner? Un dîner?
Moi, c’était le samedi soir fatidique, juste après le discours du premier Ministre annonçant la fermeture générale. Un petit vietnamien en bord de mer, à Agde, spécialiste du Tigre-qui-pleure.
Je ne me souviens pas avoir vu autant de monde depuis. À part peut-être, au début du confinement, dans un supermarché audois; j’y faisais de l’ethnologie tiers-mondiste alors que, dans l’anarchie la plus totale****, la foule vociférante bien que masquée, gantée, s’étripait pour un rouleau de PQ, un pot de Nutella, un paquet de pâtes. Entre pousse-caddie et auto-tamponneuses…
Bref, moi, avant que ne s’abaisse tristement le rideau de fer de la plupart des restaurants de la planète, je mangeais du porc au caramel et du riz cantonnais.
Inutile d’y revenir, la situation comptable de la plupart des restaurants français est terrifiante. Voilà un secteur d’activité où l’on comptera peut-être, au moment des bilans, le plus de morts. Davantage encore que de victimes du virus.
C’est évidemment pire dans certains pays où règne la Loi de la Jungle. Un exemple, aux États-Unis, pour faire face à la fermeture et aux pertes qu’elle entraîne, certains établissements de luxe se débarrassent, comme d’impedimenta, de leurs bouteilles les plus chères***** (si ça leur permet de conserver les meilleures, c’est toujours ça de gagné pour l’après…).
L’anecdote mise à part, ce n’est pas faire preuve de catastrophisme que de se demander si nous pourrons retourner, cet été ou un autre, visiter les tables qui nous ont offert tant de bonheur, des étoiles dans les yeux (souvent plus intéressantes que celles du Guide des Pneus), la félicité de s’être senti accueilli, aimé, comme à Äponem.
Souhaitons-le, contribuons à ce que ce souhait se réalise. Aidons-les dès que possible. Dans la mesure de nos moyens. Parce que franchement, c’était chouette, le restau. Ça sentait la vie.
*La Chartreuse de Mougères, à Caux. Chambre d’hôte et domaine viticole, accueil charmant sous l’ombre tutélaire de celui dont les écrits nous consolent, et du Petit Prince.
**Sûrement un des restaurants les plus chics du Languedoc, un rien parisien, mais « incontournable » comme on dit dans le poste. C’est au-dessus de Pézenas, en plus du restaurant (lien ici), un vigneron, Sauta-Roc, y produit un bourboulenc tranchant comme un rasoir.
***Le pinot noir Les Auxboeufs du Domaine André Fouassier, à Valençay, admirable.
****Aucun protocole, aucune distance obligatoire, la foire d’empoigne, la fête au virus, alors que dans le même temps les bonnes âmes s’émouvaient du danger des marchés de plein vent, les interdisaient, ouvrant du coup un boulevard à la grande distribution, symbole d’un univers délocalisé, destructeur, avide qui est à l’origine de la catastrophe actuelle. Plus que jamais il faut soutenir les producteurs de qualité et les commerçants traditionnels, sinon ce sera double-peine.
*****Lire ce papier de Eater.