Finalement, c’est un peu comme si, de guerre lasse, on résumait l’époque à une joute lunaire entre Camélia Bardella et Jordan Jordana, arbitrée par l’ineffable Hanouna, phare de la pensée française de la première partie du XXIe siècle. Mais, en ces temps intellectuellement ramollis, en Occident tout du moins, ce n’est pas ici de haute politique, ni même de philosophie ou de sociologie qu’il est question, juste de vin.
Je fais partie de ceux qui, dans les années 90, ont promu la notion de buvabilité. C’était alors la pleine mode du tuning. Quel vigneron en quête de reconnaissance (et de vulgaires notes amerloques) ne bricolait pas dans son garage une cuvée deLuxe, GTi? La recette était simple, voire simpliste: sélection, concentration et bois massif. Forcément, de polyester en jantes alu, le mieux devenait l’ennemi du bien… au point de déguiser l’aimable 4L en prototype de course tellement trafiqué qu’il cassait le verre au premier virage. Lassés de ces pinards vavavoum, des pipes-à-Pinocchio, nous étions donc quelques uns à vouloir renouer avec des vins « gouleyants » (que j’aime ce mot suranné!), digestes, avec ce qu’on appelle depuis dix ans le « glou-glou ».
L’effet de balancier étant ce qu’il est, nous avons été plus qu’exaucés. À tel point que pour certains aujourd’hui, on ne peut plus concevoir le vin autrement que comme un produit de consommation immédiate,. Vendangé, vinifié, embouteillé, vendu, pissé dans les six mois, réduit à une éjaculation précoce. Par parenthèse, une aubaine pour les marchands de fringues (à la culture proche des trois benêts sus-cités*) qui ont envahi le Mondovino, et notamment l’univers des cavistes. Plus besoin de garder, de stocker, d’immobiliser des fonds: la petite carbo à étiquette bariolée, c’est le bonheur du banquier!
Me revient alors en mémoire le regretté Jacques Puisais, immense sensible du goût: « sans caves, plus de civilisation » avait-il dit en substance, un peu comme Jacques Reynaud expliquait que la différence entre un bon vin et un grand vin durait « vingt ans ». Car effectivement, peut-on résumer le vin aux arômes primaires? Doit-on répondre au simplisme parkérisé des années 90 par un autre simplisme tout aussi idiot? Renoncer, au nom du sacro-saint glou-glou, à la complexité, à la profondeur? Troquer ad vitam eternam les seyants richelieus, les fantasmatiques escarpins** contre les espadrilles, les baskets?
C’est justement en débouchant du beaujolais, symbole de cette époque glougloutante, que me viennent ces interrogations. Attention, pas de banane*** dans le verre (ni chimique ni nature), pas de tord-boyaux famélique, ou même un de ces horribles ratages revendicatifs à côté desquels le vinaigre des cornichons pourrait sembler doucereux. Nous ne sommes pas non plus chez un de ces noms désormais célèbres que je vous chante depuis des années****, les Dutraive, Benier, Lapalu, Delienne, Coquelet, Thévenet…
Rutilantes, les bouteilles sont bordelaises, ce qui selon les plus simplistes des critères actuels indique l’anti-glouglou, d’autant que l’étiquette n’emprunte pas au style « canaille » des années 2010. Château des Bachelards, un château en plus… S’avancent des vins construits, charpentés, intenses, qui désarçonnent quelque peu quand on songe à l’image longtemps brisée du Beaujolais, bousillée par des paresseux, des fourreurs, des ruffians. J’adore le saint-amour, le moulin-à-vent, mais le fleurie 2015 est un monument classique. Ferme, mais plein de vie, d’énergie, porteur d’avenir. Les yeux fermés, on s’imagine parmi les bouteilles pour milliardaires exotiques négociées cent kilomètres plus au nord*****, ces flacons que tout le monde commente, vénère éventuellement, sans généralement les avoir goûtés.
Merci, Alexandra de Vazeilles de nous rappeler qu’en Beaujolais comme ailleurs le nivellement par le bas n’est pas une fatalité, qu’il n’est pas inéluctable (on revient aux fringues…) que les vendeurs de jeans du Sentier dessinent les collections de haute-couture, les confectionnant avec du tissu bangladais. Que le plaisir****** peut (aussi) passer par la sophistication.
*Des « professionnels » qui, souvent pour des raisons financières, parfois par inculture revendiquée, n’ont goûté aucun des grands classiques qui ont écrit l’Histoire mondiale du Vin. Il importe donc pour eux de dénigrer ce qu’ils ignorent. « Quand j’entends les mots Grand Cru, je sors mon revolver »…
**Sur les images qui illustrent cette chronique, ce sont des Ernest, traditionnelle maison parisienne, chausseur fétich(ist)e d’Helmut Newton notamment, le modèle Plaisir 12. Ça me faisait plaisir de les photographier, ne serait-ce que pour emmerder les aigri.e.s au pied épais, les tristes, les maccarthystes woke qui font actuellement campagne en France pour la fille du Borgne (ce qui est une façon comme une autre de promouvoir l’égalité en installant une femme à l’Élysée).
***Toujours très amusante cette histoire de banane, riche d’enseignements sur la capacité de certains à nier l’évidence. Je ne parle pas anosmiques, mais de buveurs qui s’évertuent à ne pas la sentir dans des étiquettes à la mode, parce que vraiment c’est impossible… Pour causer technique, référez-vous à cette vieille chronique.
****Ici par exemple.
*****Où, par parenthèse, on est généralement un peu moins biodynamique…
Joli texte, même s’il me paraît être sujet à interprétation. Loin de moi de penser que vous preniez partie ici pour un style ou un autre, mais ça donne (un peu) l’impression que vous associez « vin glouglou » et « nivellement vers le bas ».
Cela me fait d’ailleurs penser à un échange quelques peu houleux sur un Forum » Facebook » avec Alexandra de Vazeilles s’étant plainte des messages dythyrambiques sur les vins d’E. Reynaud qu’elle jugeait infondés, qualifiant Rayas et le Château des Tours de « bourrés de volatile » et de « fonds de cuve » (Je passe ici sous silence d’autres termes utilisés).
Ce qui fait qu’on aime les vins de Reynaud, c’est justement ce caractère « gouleyant », ne jugeant ici, en tant que simple consommateur, que le résultat obtenu (n’ayant pas la prétention de juger les conditions de vinification).
Le plus important est, qu’au delà des modes, les grands vignerons tels que A. de Vazeilles et E. Reynaud continuent à nous proposer des vins si différents, glouglou ou charpentés, simple ou complexe, primaire ou tertiaire…
Comme l’écrivait Claude Aveline, “Le style se juge comme le vin : il suffit d’avoir du goût.”
Un Rayas de millésime fort est sûrement plus proche de ce que produit Alexandra de Vazeilles qu’un petit gamay délavé, banané par la carbo. Car quand je parle du rouleau-compresseur du ‘glouglou’, c’est de cette dernière chose dont je parle, le jus simplet « vendangé, embouteillé, vendu et pissé dans les 6 mois ». Alors oui, si le vin n’est plus jugé qu’à l’aune de cette qualité, il y a bien nivellement par le bas.
Merci pour cet article très vinique où le rouge est très présent. On a adoré les photos.