J’ai toujours vu l’Ardèche comme un pays lointain, mystérieux. Proche pourtant. On y allait parfois depuis le Lubéron, un grand-oncle y avait racheté un hameau. En bas coulait une rivière dont l’eau glacée gonflait les seins de la cousine qui s’y baignait nue.
En comparaison de la Provence, c’était une montagne vierge, sauvage, privée de villes. Dans la famille de ma mère, on la respectait, en mémoire de la résistance huguenote; beaucoup ne manquaient pas, chaque année, aux confins des Cévennes gardoises, de participer à l’Assemblée du Désert, où, comme raillait Boileau, « tout protestant est pape, une bible à la main ».
Et puis, il y avait la figure tutélaire, vénérée par tous, jusqu’à mon jésuite de père: Olivier de Serres, inventeur de l’agronomie moderne, philosophe de la terre nourricière
L’automne dernier, nous sommes revenus en Ardèche, arrivant justement de Lourmarin. Passés l’épisode cévenol et les bondieuseries de Viviers, je n’ai pas pu m’empêcher de faire un crochet par Villeneuve-de-Berg. Serres, en 1600, n’a peut-être pas eu raison sur tout en matière agricole, mais comment ne pas être fasciné par l’énergie de bâtisseur rural qu’il a déployée, qu’il a su aussi susciter?
Et puis, saluer le Mesnager des champs, c’était logique. Nous partions à la rencontre de paysans impavides, opiniâtres, ceux qui défrichent, escaladent, essayent. Pas dans la partie du Vivarais où vécut Olivier de Serres, plus au Sud, passé Aubenas et les paysages volcaniques, en s’enfonçant dans une étonnant versant des Cévennes ardéchoises, à l’ouest de Lablachère. Un décor inouï, spectaculaire, qui évoque la Castagniccia ou le haut-Languedoc (qui en est d’ailleurs le prolongement géographique).
En fait, à l’origine, le minuscule village de Faugères*, je voulais y aller quérir le Graal, les racines jadis mystérieuses d’un cépage adoré. En quelque sorte une recherche de paternité.
Car ici, dans cette guirlande de hameaux accrochés à flanc de montagne, juchés sur les crêtes, se trouve un couple de vignerons étranges, des illuminés. Vous savez, un peu comme Robert Plageoles quand j’étais petit, qui replantait tout ce que les générations précédentes avaient arraché**. Eux, Élise Renaud & Benoît Salel, conservent, restaurent, comme les amis gaillacois replantent. Et, dans leur incroyable collection de cépages (de sols, de climats, de topographies aussi), se trouve une absolue rareté dont il n’existerait plus qu’un petit hectare en production: la dureza.
La dureza, cépage fortement soupçonné d’être ardéchois de souche (bien que petit-fils du pinot noir), est en fait un garçon. Et un briseur de légendes. La science, la génétique l’ont maintenant prouvé***, loin des divagations orientalistes, elle est le père de la syrah, la mère étant la mondeuse blanche.
Et là, à Faugères, dans la cave acrobatique des Renaud-Salel, on peut boire, grâce à la cuvée Éterna, de la dureza pure, ce qui constitue sûrement une des meilleures manières de comprendre l’esprit de la syrah vraie, loin des interprétations parfois grotesques dont a elle été l’objet, voire la victime un peu partout dans le Monde. On y retrouve un peu de la granulométrie exprimée au nord de l’Ardèche, vers chez Souhaut, un tour de poivre blanc, un pointe légèrement végétale aussi, et des tanins un peu moins policés que ceux de sa fille. Bien plus que quand les grand-mères se penchent sur un berceau, l’air de famille est indéniable. Quelle émotion en tout cas, on se sent archéologue, privilégié****, détenteur d’un secret.
Comme souvent dans le vin, quand on est curieux (la moindre des choses…), une découverte en appelle une autre. Car, ne vous fiez pas à l’apparent bordel de la cave du domaine*****, ce n’est en rien celle « de grossier paysan » que critique Le Mesnager******, c’est une bibliothèque, cousine de celle de Robert Plageoles, ou d’Olivier de Serres. Raisanne, Viognier, Roussanne, Syrah, j’y ai dénombré une petite quinzaine de cépages (sans compter leurs variations par terroirs), et récemment Benoît Salel était tout content de me dire qu’il récupérait du piquepoul noir******* afin de le réintroduire en Ardèche.
Parmi les livres que j’ai adorés dans cette bibliothèque figure d’abord le chatus. cépage emblématique de la région. Le chatus, je n’en avait pas de fantastiques souvenirs. Volontiers dur comme du bois, éventuellement piqué pour faire genre, je n’y avais jamais trouvé la gaieté, le fruit de celui-ci, cultivé sur des grès du Trias. Ça reste un vin pour manger du gras, mais avec classe. Il fonctionne aussi remarquablement en assemblage dans une cuvée baptisée Tréfol, marié à de la syrah et du grenache. Tant qu’on parle d’assemblage, il faut aussi goûter un mouton à cinq pattes, le gamay-grenache, un rouge totalement déroutant, qui finalement résume bien la dualité nord-sud du terroir.
Il serait injuste d’oublier les blancs. En commençant par un cépage dont je ne suis pas souvent fan, le viognier, qui ici évite soigneusement le piège de la lourdeur structurelle et aromatique. Pour le côté tranchant, il faut aussi goûter la très identitaire raisaine; les ouvrages de référence contemporains (qui affirment qu’elle a totalement disparu de la surface de la planète) lui prêtent une certaine mollesse, je conseille à leurs auteurs de monter à Faugères… Enfin, clin d’œil à cette Amérique qui fait tout pour qu’on la déteste de droite à gauche, nous avons bu, fraîchement, gaiement un godet d’un cépage simplet mais amusant que rigoureusement ma mère m’a interdit d’nommer ici. Les pros comprendront vite en regardant ci-dessus les feuilles et le nom sur l’étiquette.
Beaucoup d’émotion, donc, de sensations, de culture, mais, loin du simplisme bâclé, marketé, qu’on peut parfois rencontrer dans le coin, les vins d’Élise Renaud & Benoît Salel sont bien davantage que des bizarreries, des témoignages du passés, ou des gadgets pour ampélographes nostalgiques. On monte à Faugères boire des crus de caractère, qui racontent un pays, invite à s’y attarder. Il y est question de respect, de sincérité, de pureté, d’une agriculture intelligente, généreuse.
Donc, si vous aimez ce que le vin nous raconte sur nous-même, notre histoire, et peut-être notre avenir, alors grimpez dans cette Ardèche pour voir comme la montagne est belle.
*En Ardèche, donc, rien à voir avec celui de l’Hérault, plus au sud-ouest. Seule point commun la racine latine, filicaria, devenue falgaria en occitan, et qui signifie « fougères ». Par parenthèse, sur la route de montagne qui mène à Faugères (Ardèche), on a aucun doute sur la toponymie du lieu.
**Je dois tant à Robert Plageoles, il m’a tant appris. J’en parlais notamment ici.
***Lisez le passionnant arbre généalogique de la syrah, établi par le grand José Vouillamoz.
****Attention, hein, rien à voir avec les privilaygeeeuuu des suceurs de riches, des révolutionnaires en carton, de ceux qui avalent à la fin des voyages de Presse pinardiers.
*****Ils vont bientôt pouvoir déménager dans un lieu moins « acrobatique », plus pratique en tout cas.
******Car il est bien sûr beaucoup question de vin, de vigne, d’œnologie dans l’œuvre d’Olivier de Serres. Et pas d’idées générales, de principes vagues, on y parle technique, pour rendre le vin meilleur. On y défend aussi, à l’encontre des traficotages qui perdurent depuis l’Antiquité, une vision plus naturelle du vin, un respect du raisin. La cave doit être propre, impeccable, le travail précis (il mèche notamment la futaille) « mais d’autant que l’artifice altère aucunement le naturel, fait que les vins sont toujours prisés le plus, que moins on les aura drogués ». « Droguer les vins », un joli terme à ressortir…
*******Celui dont il était question dans la dernière chronique.
merci pour se billet d’entre fêtes. toujours ravi de lire votre libre prose érudite. Hâte de déguster la cuvée Jeux interdits aperçue sur leur site, pour la syrah et pour la Drobie, idyllique cours d’eau estival.
bon bout d’an !
Très intéressant et merci pour le lien vers la généalogie de la Syrah que je ne connaissais pas.
James, passionnant comme je l’écrivais plus haut.
Michel, « érudite », n’exagérons rien. Pour ça, il faut lire le remarquable exposé de José Vouillamoz en lien. Passionnant !
À l’an prochain !
Merci Vincent de nous faire rêver tout en nous apprenant tant de choses.
Montez, ou remontez un magazine, please!!!
Lou, je ne fais que relayer.
Pour le magazine, on verra plus tard…
Merci de mettre si bien en valeur notre piémont cévenol !
Merci à ce piémont d’exister!
Belles photos… les paysages sont superbes.