Je ne vous raconte pas la bouteille d’hier soir. Achetée, en allant se dépanner de quelques légumes, chez des babs d’un village voisin qui tiennent une boutiquette charmante, tendance artisanat 70’s & cassoulet vegan. Franchement, à l’aveugle, je serais parti sur un cidre basque de fin de saison. Ceux, improbables, qu’on boit au fût en Biscaye, pour se dégourdir avant les kokotxas (de merlu forcément) et le chuletón gras comme un moine, afin d’échapper le plus longtemps possible au terrible ribera-del-duero pinocchiesque qui trône sur la carte. Vinaigrés à souhait, tanins vert ikurriña mais avec ce souvenir charmant de la petite pomme râpeuse dont je sens encore l’odeur quand elle roule autour du pressoir, à la montagne.
15 balles quand même la quille (pas de cidre basque, mais le rouge languedocien d’hier soir), presque le tarif de la sublime syrah lampée la veille. Pour parfaire le tableau d’une parfaite naturalité d’image d’Épinal, il ne manquait qu’une pointe de serpillère et l’inévitable souris qui vient coller son goût visqueux au fond du verre.
Alors, je parle publiquement de ce vin (que je ne veux pas nommer ici pour en remettre une couche sur ce jeune vigneron des environs de Saint-Chinian qui fait sûrement tout son possible), soulignant qu’en même temps, passé le côté amusant, ce genre de bouteille montre à quel point les vins nature ont progressé depuis vingt ans. Alors intervient Thomas, l’intransigeant pinardier typique, un psychorigide qui porte des chemisettes l’été, polytechnicien de Masterchef (malgré ça, il a le bon goût de ne pas cuisiner des tomates en hiver…). « Non, ça n’est pas ça, rétorque-il, c’est de la statistique : 99% [des vins nature] sont de la merde car parfaitement exécutés selon un cahier des charges élaboré par Rika Zaraï , et 1% est raté donc bon. En 20 ans le nombre de ces vins de merde a considérablement augmenté, donc le 1% qui représentait 2 ou 3 vins en représente aujourd’hui des dizaines ». On perçoit la formation scientifique du monsieur (il excelle aussi en additions de bouteilles), son distingo entre pourcentage et valeur absolue, mais force est, malgré son pédigrée, de l’appeler à la raison, il existe aujourd’hui des centaines de vins nature délicieux.
Là où je le rejoins, c’est effectivement sur le fait qu’une partie non négligeable de la production ne vaut pas tripette. 99% sûrement pas, mais, allez!, entre les trois-quarts et la moitié, ça semble une certitude, en tout cas pour ceux que leur immunité, quelques précautions et un peu de chance ont protégé du Covid_19 et de ses terrifiants symptômes*. Finalement, rien que de très normal (et la pauvre Rika Zaraï** n’a rien à voir avec ça), si l’on prend un échantillonnage de vins non nature, on va arriver grosso modo au même pourcentage: entre les trois-quarts et la moitié d’entre eux ne présentera pas grand intérêt pour le buveur objectif, c’est-à-dire celui qui goûte le jus au lieu de lire des étiquettes.
Pour Thomas, ses idées préconçues (un rien vieillottes aussi) et ses chemisettes, j’en profite donc pour dire ici tout le bien que je pense de la syrah sus-citée. Un étonnant, et noble assemblage de syrah rhodaniennes en fait, une de Chavanay, dans la Loire, en Saint-Joseph, l’autre du sud de l’Ardèche. Ce drôle d’attelage est l’œuvre (mot consacré) de Thibaud Capellaro. Retenez bien ce nom, ce jeune vigneron a pas mal bourlingué entre le nord du Rhône, la Bourgogne et l’Australie et a même fait le pari fou de restaurer et/ou replanter de vieilles terrasses de Côte-Rôtie mais en cherchant des orientations plus fraîches. Les syrah dont il est question ici appartiennent à son autre projet, Slope, négoce de beaux raisins bio vendus par ses copains. La cuvée Terra est altière, atramentaire, minérale. Sans putasserie ni body-building façon marché d’Ampuis. Verticale.
Une mise en garde toutefois pour les buveurs d’étiquettes, de concepts, de politique, si vous cherchez dans cette belle bouteille les « signes de reconnaissance » du vin nature (en réalité du vin nature raté), vous serez terriblement déçus***: ni pomme, ni vinaigre, ni souris à l’horizon. Sûrement qu’on est dans les 1% chers à Thomas…
*Lire cette chronique récente.
**J’ai trouvé ça charmant de convoquer dans cet échange l’ineffable interprète de Sans chemise et sans pantalon. En même temps, je vous l’ai dit, quoique quadra, le type porte des chemisettes…
***Un peu finalement comme l’étaient dans les années 90 les suceurs de planches parkérisées: quand ça ne puait pas la planche, ce n’était pas un « grand vin ». Forcément.
À propos des « signes de reconnaissance », je songe toujours à une vieille histoire, vers 2014, à Barcelone. L’organisateur de salons pinardiers et activiste mélenchoniste parisien Antonin Iommi-Amunategui était venu me voir, à L’Ànima del Vi, alors qu’il était en pleine reconversion professionnelle, glissant du vin (ultra) conventionnel au naturisme braillard. J’avais choisi le vin, nous avions bu un fantastique Clos Cristal 2011. Il n’avait visiblement pas trop apprécié, me lançant « en fait, toi, tu aimes les vins nature pas très nature ». Sous-entendu, cette bouteille, désormais mythique, n’offrait aucun des des « signes de reconnaissance » que pouvait comprendre facilement son palais de nouveau converti.
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Excellent article ! Je reconnais volontiers être passé par la phase de nouvel amateur de vins dits « nature » avec leurs arômes parfois « déroutants » … Maintenant, bien conseillé par un caviste de confiance, je me régale ! Très cordialement !
Le caviste, c’est la vie !