Lui, j’aime particulièrement ses bulles. Parfumées, fines, délicates. Elles éclatent dans l’air comme les premiers mots de la fête. Peut-on imaginer passer Noël, Nouvel An sans elles? Ce que je lui souhaite en tout cas, à ce type que j’adore, c’est de retrouver d’ici là le plaisir d’en boire.
Le virus made in PRC* l’a mis KO debout. « Il était comme un légume » m’a confié sa femme. Plusieurs semaines à recouvrer ses esprits. Paysan tenace, il a réussi malgré l’immense fatigue à reprendre le chemin du chai, de la vigne, mais ce qu’il n’a toujours pas retrouvé, c’est son nez (redoutable, je vous le garantis), sa bouche. Nous qui en avons débouchées tellement ensemble, il n’a plus envie de boire une bouteille car il ne goûte plus rien.
Elle, c’est une marchande de vin 2.0. Élégante, sportive, élancée. Alors que bon nombre d’entre vous n’étiez pas nés, sa famille a produit un des vins les plus sexy qu’il m’ait été donné de boire, un bordeaux de soif toujours pimpant près de quarante ans plus tard. Récemment, nous devions déguster du vin ensemble, ensemble à la façon moderne, par écrans interposés. Elle m’a prévenu, « moi, je ne pourrai pas dire grand chose sur les échantillons »; la « grippette » du professeur Raoult l’a privée de l’odorat. « L’autre jour, ajoute-t-elle, j’ai préparé une tarte aux pommes, elle a brûlé, je n’ai rien senti. Dire que j’ai une amie qui est anosmique depuis maintenant huit mois à cause du coronavirus! »
Lui se battait pour la troisième étoile de son grand restaurant. Une obsession qui l’habite depuis des années, le pousse à créer jusqu’à l’épuisement, à remettre cent fois sur le métier, une revanche pour ce fils de montagnards pauvres abonné désormais à la truffe, au filet de bœuf mais aussi à des produits plus rustiques qui racontent son terroir d’adoption. J’ai l’image de lui en train de prendre un bout de fromage entre les doigts, de plisser le nez comme pour mieux extraire le parfum. Cette sensation, vitale, la Covid_19 lui a volée. Et au passage, comme un vigneron sudiste auquel je pense (et que je comprends), il vit presque ça tel une maladie honteuse, dont il ne faut pas parler.
Je m’arrête là dans les exemples, j’en ai d’autres, encore plus proches géographiquement. On estime que le virus prive d’odorat et/ou de goût jusqu’à 80% de ses victimes, principalement ceux dont l’état ne nécessite pas de soins hospitaliers. Souvent, cette situation qu’on a du mal à imaginer ne dure « que » quelques semaines. Parfois elle s’éternise.
Car il ne s’agit pas du simple « nez bouché » de l’enrhumé, mais, selon les dernières études neurologiques, d’une atteinte de capteurs nasaux et buccaux directement liées au cerveau, des espèces de cils qui peuvent carrément disparaître, être « pelés » mais généralement repoussent. Parfois d’ailleurs de façon anarchique, quand leurs longues fibres en se recréant se connectent au mauvais endroit du bulbe olfactif. À l’anosmie succède alors la parosmie, sorte d’aberration de l’odorat où le malade sent un parfum à la place de l’autre (la cerise pour la pomme par exemple), ou reste fixé sur une seule odeur parasite, agréable ou désagréable.
Concernant l’agueusie, on observe également des bizarreries, pas encore explicables, avec (outre des pertes de sensation au sucré-salé) l’absence de détection de phénomènes physiques tels que la fraîcheur de la menthe ou la brûlure du piment.
Je sais que dans une époque où l’on compte les cadavres, ma chronique peut sembler anecdotique. Pourtant, ces affections, pas amusantes à vivre voire dangereuses pour le commun des mortels, deviennent bien évidemment fortement handicapantes chez des gens qui font du goût, de l’odorat leur métier. Imaginez le désespoir du vigneron qui finit ses vinifications ou attaque ses assemblages, du cuisinier qui veut mettre au point un nouveau plat!
Si j’avais le cœur à plaisanter (la perspective de l’anosmie, de l’agueusie me terrifie), je dirais qu’apparemment certains margoulins du pinard ou de la bouffe ont déjà trouvé la solution au problème en enveloppant leurs daubes d’un discours propre à endormir les becs-en-zinc qui avaient devancé le virus**. Plus sérieusement, l’urgence aujourd’hui est d’aider ceux qui souffrent à s’engager, quand elle est possible, sur le chemin de la guérison. Sont évoqués ici et là des essais de rééducation, à base notamment d’huiles essentielles, mais on imagine l’ampleur de la tâche, compte tenu de la complexité de notre bibliothèque olfactive et de ses connections avec nos autres sens. Sans tomber dans le remède de sorcière, un micro-biologiste me parlait aussi cette semaine de solutions alternatives, en particulier à base de champignons. Il va bien sûr falloir se pencher sur tout ça. Sans idées préconçues.
Au passage, un expert médical me rappelait la (proverbiale) bienveillance des assurances en la matière: sauf avenant spécifique au contrat, il ne faut pas compter sur elles pour être indemnisé de son anosmie même si l’on vit de son nez ou de son palais…
Comme il se doit, les négationnistes en tout genre, trumpistes, platistes, créationnistes, jiléjône… vont nous expliquer que tout cela 1°) n’existe pas 2°) n’est pas grave 3°) a été inventé par le gouvernement du pays où ils vivent pour assassiner le peuple. Laissons-les à leurs miasmes, pensons à demain. Et surtout tenons-nous à l’écart de la « grippette ». En dopant notre système immunitaire de liquides & solides sains, en assumant notre prudence*** et en essayant de finir en beauté, avec nos sens en éveil, cette drôle d’année 2020.
*Pensez-y en faisant vos courses de Noël, plus encore qu’avant, évitez impérativement, pour ce qui peut l’être le made in PRC. Ne serait-ce que pour le prix des mensonges criminels des dirigeants de « l’usine du Monde », mensonges qui s’apparentent fort à un crime contre l’humanité..
**Je suis ainsi tombé sur un vin blanc d’un autre monde, épais, lourdaud dont le bouquet évoquait davantage le vestiaire hommes que les roses fraîches…
***En refusant notamment les racontars des cow-boys de galerie marchande selon lesquels la prudence équivaut à un manque de courage. Par parenthèse, des tests rapides vont être rapidement mis sur le marché, n’hésitez pas à les utiliser avant les réveillons et autres réunions amicales, familiales. Essayons de faire l’économie d’une troisième vague.
Bien dit ! (Et, comme toujours, parfaitement écrit !)
Merci!
Ping : Covid_19 : la dégustation masquée. – Idéesliquides & solides
Bien d’accord ! Soyons prudents et évitons le made in PRC (hélas quand c’est possible).
Oui la perspective d’être privé du goût et de l’odorat est terrifiante : ne plus sentir, ni goûter le vin, l’Epoisses, le boeuf bourguignon … ni l’herbe coupée, les feuilles mortes, le jasmin … quelle tristesse, tout un pan des plaisirs de la vie qui s’écroule ! Dieu, mon masque et mon gel hydroalcoolique m’en gardent !
Un cauchemar !