Je me faisais la réflexion l’autre jour en ouvrant une bouteille d’un aimable piccolo du Jura dont j’ai déjà dit le plus grand bien ici. Pas le rouge corsé, charpenté, plutôt une infusion, enfin, vous savez, le genre à la mode, qui pinote sans pinot (genre sur lequel pas plus qu’un autre je ne crache).
Mais voilà, un été (caniculaire) est passé sur la bouteille* et le gentil jus nature a pris quelques rides prématurées; à deux ans, on dirait un ancien combattant. Son fruit s’est fané, laissant s’exprimer, « en toute liberté », une volatile légèrement surdimensionnée pour un vin de ce genre. Bref, ça piquait comme un radis trop fort.
– T’avais qu’à le boire plus tôt !
Pas faux. Surtout quand on habite au soleil**.
Doit-on pour autant en tirer la conséquence que le vin nature, sans aucune protection, ne se garde pas? Le raccourci est tentant, car l’expérience du gentil piccolo qui a vieillit trop vite, nous la connaissons tous***.
– Jamais ! Sacrilège ! Blasphème ! Le nature conserve mieux que tout, s’exclame alors l’évangéliste de service (souvent distributeur du pif en question ou inconditionnel au palais amoureux de la déviance****). La démonstration s’appuie généralement sur des preuves irréfutables. Style une photo, sur les réseaux sociaux, d’une bouteille nature de dix ou quinze ans, auréolée de poussière de cave. « Toujours impeccable! », selon l’évangéliste, concluant son propos d’un sarcastique « qui a dit que le vin nature ne se gardait pas?… » La démonstration, forcément, est corroborée scientifiquement par la claque de circonstance (affidée au business sus-cité). Et comme il se doit, sauf à se sentir l’âme d’un caricaturiste de Charlie planchant sur Mahomet, on s’écrase, on fait mine de croire sur parole (d’évangile) tout ce petit monde, expert de la dégustation digitale (spécialité contemporaine faisant heureusement écran aux arômes que nous aurions tant aimé n’avoir jamais eu à sentir…).
Pourtant, oui, malgré les dénégations, force est de reconnaître que (trop souvent mais moins souvent qu’avant) nous arrivent entre les mains des bouteilles tordues. Mais plutôt que de généraliser, peut-être serait-il judicieux de distinguer des cas assez différents les uns des autres. J’en vois deux principaux (en dehors du bouchon défectueux*****).
1°) Le taré de naissance, genre gamay à 10,5% Vol. à 0,8g de volatile durant élevage, équipé de surcroît d’un pack d’options luxe, oïdium à la vigne, verdeur, oxydation, souris… la liste n’est pas exhaustive mais peut faire fureur dans certains milieux radicalisés pour lesquels Juan Branco est un modéré et le XIe l’antichambre des Chartrons. Pour lui, on ne peut pas grand chose (sauf à s’équiper d’un bec-en-zinc), les miracles, c’est à Lourdes, pas au bar.
2°) L’individu sain, pas ou peu protégé, conservé en revanche par des salopiots, en haut de l’étagère d’un bar, d’une boutique surchauffés. Car répétons-le, vu sous cet angle, paradoxalement le vin nature est tout sauf écolo, il nécessite des conditions de stockage aussi polluantes pour la planète qu’un milliardaire de HK ou du Texas. Pas plus de 14°C été comme hiver spécifiait feu Marcel Lapierre sur les traces de Jules Chauvet via Jacques Néauport******.
Hormis ces deux cas (loin d’être exceptionnels), il n’y a pas de raison majeure pour qu’un vin nature sans défauts congénitaux, sans défauts de vinification, éventuellement filtré avec douceur, conservé dans les normes, ne vieillisse pas harmonieusement, si évidemment il possède une structure étudiée pour (tanins, acidité, etc). Comme me le rappelait un vinificateur voisin (qui exerce notamment en biody-nature), passé trois-quatre années de bouteille, il n’y a plus guère de différence entre un vin sulfité à la mise ou non, une bonne partie du SO2 s’est fait la malle*******.
Quitte à choquer, j’ai envie d’aller plus loin. Serait-ce vraiment grave pour le commun des buveurs que le vin nature, formidablement accessible sur l’éclat de sa jeunesse quand il est réussi, ne vieillisse pas, qu’on lui impose une DLC comme l’avait fait Gérard Bertrand? Cette question de la garde est-elle encore importante à une époque ou infiniment peu de cavistes, de restaurateurs veulent / peuvent stocker des bouteilles « à attendre »? Finalement, dans ce contexte, un jus qui évolue plus vite n’est-il pas une aubaine commerciale?
Les authentiques amateurs me rétorqueront (à juste titre) qu’un jean stone-washed n’égalera jamais leur vieux selvedge patiemment patiné par le temps. Certes, mais, qui goûte encore le vin aujourd’hui? Et a fortiori le vin vieux? N’est-ce pas finalement un « débat de vieux » à l’Âge du Soda*******? À tort ou à raison, au pique-nique ou ailleurs, une immense majorité des buveurs actuels se contrefout de ce paramètre qu’elle aura tôt fait de qualifier d’enculage de mouches.
*Je rassure les petits commerçants rageux, et les Torquemada du genre, elle n’a pas été conservée comme une tourie, cette brave bouteille…
**Je ne vous raconte pas le début de la mode des vins nature à Barcelone. Les néo-bistrotiers tatoués-barbus conservaient leur trousseau non protégé aussi soigneusement qu’un priorat; le résultat était souvent « brutal »…
***Nous et notre évier d’ailleurs, éventuel bénéficiaire de ce débouchage impromptu. Cela étant, si le vin est juste piqué, sans autre problème bactérien, mieux vaut lui indiquer l’utile direction du vinaigrier, c’est justement avec ce genre de base saine qu’on démarre les bons vinaigres.
**** Lire cette ancienne chronique sur la force de l’habitude.
***** Mais pourquoi n’obture-t-on pas les vins nature (les autres aussi d’ailleurs) avec des capsules à vis, ou au minimum des bouchons techniquement irréprochables?
******Pour ceux qui ne connaissent pas ce personnage attachant, précurseur des vins naturels (il y a notamment initié Marcel Lapierre), regardez cette petite vidéo vintage (payante mais ça vaut le coup), ou tentez de vous procurer ses remarquables Tribulations d’un amateur de vin, publiées chez notre (merveilleux) éditeur commun, Jean Laforgue, à La Presqu’île en 1999.
*******Conseil donc aux allergiques au SO2 (infime pourcentage de la population), buvez du vin vieux.
********Parfois un rien préhistorique avouons-le. Cela étant, gageons que l’infime majorité d’esthètes sensibles au charme d’un bouquet tertiaire survivra à l’époque., fidèle à la phrase de Jacques Reynaud: « un grand vin, c’est vingt ans ».
Les images qui illustrent cette chronique sont des extraits de dessins de la talentueuse Léa Maupetit. Découvrez son univers au bout de ce lien.
Voilà ce qui s’appelle remettre l’église au centre du village ! Merci, Vincent, de nous offrir cet article équilibré, il y en a marre de ces guerres de chapelles entre partisans et adversaires du vin naturel (qui comme vous le dites ressemblent beaucoup à des guéguerres commerciales). On a le droit d’aimer sans se détester.
Merci, Xavier. Oui, ici comme trop souvent dans le Mondovino, le côté vendeur de fringues prend le dessus.
Une fois de plus c’est magistral ! Et en plus drôle, j’ai ri et souri à de nombreuses reprises.. l’avantage des réseaux sociaux c’est que peu de gens lisent les textes longs ce qui évitera peut-être une crucifixion numérique… et puis on s’en fout de la dite puisqu’après quelques jours il revint (nature tél qu’en lui même) parmi les siens.. Je m’en fus le week-end dernière au salon #simplementevinho à Porto. Et ce que j’ai adoré c’est que le port de l’uniforme n’était pas obligatoire. Il n’y avait pas que des naturistes, juste des gars là pour le plaisir d’être ensemble et Dieu que c’était agréable. Et puis le soir on fait la fête avec des musicos rock’n roll en buvant de tout. Punaise qu’est ce que c’est agréable, ça finissait par me manquer. La France, même dans le vin est un peu aigre ces derniers temps et c’est bien triste… ?
Éric, je rougis comme une pucelle…
Plus sérieusement, ‘Simplesmente Vinho’ est un salon remarquable, un des plus sexys que je connaisse, dont effectivement le fil directeur est la liberté du vin, toutes tendances confondues (dans le respect du sol et du consommateur). J’avais écris toute une série sur ses fondateurs dans l’ancienne version du blog, symbole de ce Portugal étincelant, furieusement moderne. Exemple : https://ideesliquidesetsolides.blogspot.com/2016/05/portugal-1-comme-leau-de-la-source.html