La nourriture dit beaucoup de nous, des peuples, d’une époque.
Tenez, aujourd’hui, jour de l’Épiphanie, la galette des Rois que l’on tranche en famille, moment de communion, de partage, bien au delà de la religion. Eh bien, vous savez ce que j’ai découvert ? La dernière tendance, c’est la galette individuelle. Chacun son gâteau, chacun sa fève, chacun sa couronne… vingt-cinq minutes à 180°C. et l’affaire est faite !
Attention, il n’y a pas que les industriels des surgelés pour mettre en avant cette hérésie*. En fouillant sur le Web, notamment les sites de recettes où l’on joue à la dînette, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un nouveau classique en une époque où l’individualisme, l’égoïsme tiennent lieu de credo.
Que voulez-vous, nous l’avons dessiné ainsi. Dès la cantine où le self a remplacé le partage, le collectif, histoire d’initier très tôt nos chères petites têtes blondes au gaspillage, signe extérieur de richesse idiote. Par parenthèse, le menu unique**, qu’il est temps, au moins pour des raisons écologiques, de rétablir, constitue aussi une bonne façon d’expliquer aux gamins (qui en ont parfois besoin) que dans la vie, ce n’est pas toujours à la carte mais plus souvent au menu. Et que les meilleurs moments de table, de vie, sont rarement servis à l’assiette.
La nourriture, écrivais-je plus haut, dit beaucoup de nous, des peuples, d’une époque. Alors traversons l’Atlantique pour partager la galette de ces États-Unis dont nous singeons (heureusement avec un léger temps de retard) les dérives sociétales. Là-bas, pour des raisons réglementaires, la fève est livrée à part, assortie d’un mode d’emploi et d’une explication des risques encourus. Parce que dans ce pays où l’on peut acheter un fusil d’assaut au coin de la rue, ce serait trop dangereux de la mettre à l’intérieur de la frangipane***!
Tant pis pour les nouveaux sous-développés, nous ferons cette année comme les autres années. Qu’il s’agisse de frangipane parisienne, bordelaise selon les appellations, ou de brioche à l’eau de fleur d’oranger (une brioche qui nous rappelle que la Méditerranée n’a pas toujours été une frontière), nous trancherons ce soir la galette des Rois. Et merde une nouvelle fois au Dry January, elle s’arrosera d’une blanquette-de-limoux-méthode-ancestrale (j’aime beaucoup celle du Domaine de Fourn à Pieusse), d’un élégant moscato-d’asti ou pourquoi pas d’un cidre. Là, je pense à Topa, un jus de fruit basque un rien fumé, joyeux comme la venue de Balthazar, Gaspard & Melchior.
*Dont on m’objectera bien sûr qu’elle était à l’origine destinée au marché des célibataires.
**Et tant qu’à faire finissons-en avec les menus confessionnels, sans cochon pour être clair. Ces caprices, ces bigoteries d’un autre temps n’ont rien à faire en 2020, et encore moins dans le cadre d’un service offert aux familles par la République et ses collectivités locales en soutien à l’école laïque. Un sujet que j’avais d’ailleurs déjà évoqué ici à l’époque où la France était pourvue d’un ministre de l’Éducation nationale qui, dans une absolue inversion des valeurs, estimait que c’était le fait de manger du porc (la viande la plus consommée au Monde…) qui constituait un signe religieux.
*** Imaginez, pour une dent ébréchée, les deux-trois années de procès contre le boulanger… Enfin bon, ne nous moquons pas, grâce à l’associationnite aigüe dont souffre la France, l’élève rattrape le maître, il suffit de voir la dernière indignation, la dernière polémique en date qui a amené Le Slip français à baisser son froc. Dans la même veine « Blackface« , j’apprends d’ailleurs aujourd’hui que le maire opportuno-gauchiste de Barcelone envisage d’interdire à Balthazar de se passer la trogne au cirage pour la traditionnelle chevauchée des Reyes.