Vous savez, je crois que j’en ai marre du vin. Qu’il m’ennuie profondément.
Oh, pas le produit en soi, surtout pas! Vivant de nouveau en terre vigneronne, déjeunant, dînant « à la française », j’ai même renoué avec sa fréquentation quotidienne, et je ne m’en porte que mieux. Mais, franchement, je supporte de moins en moins l’espèce de cinéma, de poker menteur, orchestrés par les vendeurs de soupe du Mondovino pour tenter de faire grimper encore et toujours le prix d’un produit qui (quand il se prétend « grand ») déjà coûte trop cher.
Tiens, puis qu’on parle pépètes (et pépite comme disent les experts en culotte courte*), le rouge étincelant, tendance rouge Dior 999, que nous avons dans le verre coûte onze euros toutes taxes comprises. Je l’ai même trouvé à dix cinquante sur Internet. Enfant (majoritaire) de grenache, il a tout ce que l’on aime dans un châteauneuf-du-pape réussi, ce mélange de générosité et de fraîcheur. Manque de pot (pour son papa vigneron, pas pour nous consommateurs), il est né du mauvais côté du Rhône, en Languedoc. On peut donc s’en offrir une caisse pour le prix d’une bouteille, et profiter, en prime, de la jovialité de Raymond Julien dont il faudrait éviter de penser, par snobisme gauchisto-misérabiliste**, qu’il ne produit que du carignan***.
Revenant de Montpellier, via Sète-la-divine et le Pic Saint-Loup***, je me faisais la réflexion sur ce qu’était, ou que devrait être, la philosophie d’un professionnel de la vente du vin aujourd’hui, qu’il soit caviste, sommelier, bistrotier. Malheureusement, beaucoup (notamment ceux que la wine « education » des pinardiers anglais a intoxiqués mais on a exactement les mêmes dans le nouvovino…) croient encore que le suivisme reste la panacée: surtout avoir les mêmes références autorisées que le voisin, ne jamais s’écarter du conformisme, répéter des âneries commerciales avec conviction sans jamais se poser la moindre question. Surtout ne jamais penser par soi-même. Parrot-like…
Ce système crétin, parfumé à la naphtaline mais bien rôdé, générateurs de rentes de situation, conforte évidemment le boursicotage puisque le libre-arbitre et l’inclination personnelle n’y ont pas de place, les notes et les classements, forcément, sont universels, inamovibles, tout le monde doit aimer la même chose, de préférence chère, chiante et boisée, servie obséquieusement par des sommeliers en Tergal (eux aussi ont besoin d’un aggiornamento stylistique afin de faire rêver les jeunes). Prime est donc donnée aux crus internationaux qui puent le kérosène, les centaines de milliers de kilomètres parcourus pour aller les vendre****, et éventuellement faire passer des vessies pour des lanternes.
Pour autant le snobisme des buveurs d’étiquettes est loin, très loin de ne concerner que les perroquets du WSET. Comme je le répète depuis des années, le Mondovino (tout comme le Mondogastro) s’est jeté à corps perdu dans la folie des marques: ce sont des noms, des images que l’on boit, la qualité du jus, et la perception qu’on en a deviennent finalement accessoires.
C’est anecdotique, mais je suis tombé l’autre jour sur ce tatouage réalisé par un admirateur canadien de Thierry Allemand. Je ne vais évidemment pas critiquer son choix, vous savez ce que je pense de ses majestueux cornas (je l’avais notamment écrit ici), en revanche, ce n’est plus de l’amour, c’est du fétichisme.
Heureusement, il y a des bouteilles qui vous réconcilient avec le vin. Des jus. Directs, sans fioritures, avec « la gueule de l’endroit d’où il vient et les tripes de l’homme » qui l’a fait comme disait Jacques Puisais, le chimiste inspiré*****. L’Arbouse du Mas Bruguière est assurément de ceux-là; il a le parfum de la route magique, bouleversante, qui file de Valflaunès à Saint-Martin-de-Londres, entre Hortus et Pic-Saint-Loup, et le caractère de Xavier Bruguière, taiseux, pudique, presque timide. Son 2017, plein de retenue, d’une élégance qui fait parfois défaut au Languedoc, est une merveille d’équilibre entre le « glou-glou » comme on dit à Paris et le cru sérieux, terroiriste. Sur le lapin de montagne au fenouil d’hier soir, je ne lui ai trouvé qu’un défaut, (outre la taille lilliputienne de son contenant), qu’il n’y ait pas davantage de snobinardes à table, j’en aurais eu davantage pour moi…
* À propos d’experts (pas ceux-ci…), je suis fasciné par la place, souvent attrape-mouches, attrape-pub, qui est désormais donnée au vin dans les journaux et magazines français. Du coup, peu importe le contenu, pourvu qu’il ne dérange pas trop, on file la rubrique au premier ou à la première qui passe, peu importe qu’il ou elle n’ait goûté qu’une vingtaine de pinards dans sa vie, ce qui compte, c’est de meubler. Libération (décidément tombé bien bas) a même recours à un certain monsieur AFP qui dans un de ses derniers numéros nous a sorti un drôle d’assemblage sur le bio.
** Snobisme évoqué au bout de ce lien; ça fait chic, vous le savez, en Languedoc principalement, de préférer le carignan à des cépages plus nobles, ou plus identitaires que cet émigré espagnol. À propos de snobs, désolé de réutiliser ce titre (cette chronique déjà…), mais je n’ai pas trouvé mieux pour synthétiser ma pensée. Et puis bon, Interdit aux snobs, la marque m’appartient, donc autant s’en servir…
*** Tonton carignan, il en était déjà question ici.
**** Le déficit écologique du vin, thème de cette chronique récente.
***** Que de chimistes décidément chez les penseurs du vin, Puisais, Chauvet…