L’époque est au simplisme. On vous avait prévenu il y a dix ans, quand le Monde, victime des orgies boursières et d’une boulimie organisée d’endettement public, privé, s’enfonçait dans une crise qui immanquablement aller rappeler aux plus clairvoyants, aux plus instruits que décidément, ce n’était pas mieux avant. Surtout dans les années trente. Les pauvres allaient s’appauvrir, les vilains s’enrichir de leurs vilénies, sur fond de bruit des bottes.
Ces derniers jours m’ont donné, blocages routiers obligent, l’occasion de revisiter la France des départementales. La D928 tarn-et-garonnaise empruntée presque par hasard m’a offert l’occasion d’un pèlerinage à Larrazet. Pensée fugace dans le brouillard automnal qui monte de Garonne pour l’impressionnant retable baroque, quasi cinématographique, qui barre tel un écran géant, le fond de l’obscure église Sainte-Marie-Madeleine. Pensée aussi pour la gloire locale que je vins (de façon tarifée) enterrer ici, lui qui était parti exercer, de la manière la plus odieuse, dans le Paris occupé, le métier que l’on prêtât de façon apocryphe (et probablement injustifiée) à la pauvre fiancée de Jésus. René Bousquet aurait sûrement humé avec gourmandise les miasmes du moment, ce fumet de fraîche pourriture, les arômes délicats de la déliquescence sociale, celle qui permet aux extrémistes de tous bords, aux Rastignac de son genre d’accéder aux plus hautes fonctions afin de faire « le bonheur du peuple » avant de finir pendus à des crocs de boucher au milieu d’un champ de ruines.
Quelques heures plus tôt, à Carcassonne*, tentant de penser à autre chose (Bousquet devait sûrement penser à autre chose en organisant la rafle du Vél’ d’Hiv’), je songe à Céline. À sa haine de l’Humain. De la populace. Des beuglements.
Un rond-point sale juste avant l’autoroute A61, encerclé de zones commerciales où les miséreux (il n’est pas question que d’argent) s’en vont, avec régularité et ardeur**, creuser plus profond le gouffre qui les aspire. L’âcre fumée des pneus enflammés concurrence péniblement celle des pots d’échappement: vrombissement de bagnoles de sortie de boîtes de nuit, de 4X4 gloutons, wheelings motocyclistes japonisants, pétarades d’Hells Angels provinciaux… dans une ambiance « salon du tuning« , on joue, injecteurs en mode deepthroat, à celui qui a la plus grosse; la quéquette tient le volant.
Au checkpoint (j’hésite entre Liban, Bosnie et Congo, pas assez de discipline teutonne pour Charlie), l’otage automobile, arrêté par le coup de sifflet autoritaire d’un sosie du beauf de Cabu (première période), doit faire mine d’acquiescer. Une poissarde tentée par la pédagogie lui explique qu’il doit étaler un gilet jaune pastis sur son tableau de bord. Certains ânes renâclent, tentent même un refus d’obstacle. Une dame explique bêtement, déclenchant des rires gras, qu’elle doit aller travailler. Lourde erreur: dans un souci de rééducation des masses digne des grandes heures des doctrines brunes, noires ou rouges qui ont enchanté le XXe siècle, les gentils organisateurs de ce Club Méd’ anisé, les condamnent, trop heureux d’exprimer leur autorité, à un tour de rond-point « avec coups de klaxon obligatoire » et à une inévitable visite chez leur carrossier préféré. Évidemment, les mauvais esprits verront là de l »humiliation publique, des violences volontaires, etc… alors qu’il ne s’agit que de remettre quelques égarés dans le droit chemin de la « démocratie populaire ».
La soirée qui suit est presque surréaliste. Passionnante aussi. On parle de tanins salvateurs, de bactéries utiles, d’arbres précieux****, de blés anciens, de Nature, de tous les caprices (automobiles notamment) qu’il faudra que nous sacrifions aux maigres chances d’avenir de l’Humanité*****. On mange de la terrine, du poulet au têtes-de-nègre. On boit beau et bio. Du cahors, du côtes-du-marmandais, du bourgogne, du beaujolais, du chinon, du minervois…
Le lendemain, afin d’éviter de nouveau checkpoints, nous glissons sur les coteaux de Lomagne. Un vin, lampé la veille à l’apéritif sur les zakouskis gascons de L’Horloge, me semble résonner comme un improbable message dans cette époque étrange. Le vin d’un copain, Élian Da Ros. Enfin, d’Élian et de sa compagne Sandrine Farrugia. Ou le contraire. On va encore me taxer de machisme pinardier (vu ce que je vais prendre pour mon « mépris » affiché du bon peuple nurembergeois des gilets jaune-pastis, peu importe…).
Double-message d’ailleurs. D’abord, il nous parle de « bon sens paysan », de gens qui ne renoncent pas, quitte à démentir les pseudo-élites parisiennes****** aussi infaillibles que les papes qui ont ruiné l’Église, qui incontestablement ont exaspéré la populace, et pas que. Histoires de boire est une façon de se moquer de l’adversité, fièrement. Les raisins qui l’on enfanté ont été grêlés le 30 août. Plutôt que de couiner, il fallait réagir, « faire avec ». Inventer. Ainsi est né cette infusion de raisins rescapés, qui, assez logiquement, évoque le rouge d’Overnoy-Houillon, cette tisane dont le manque de couleur est inversement proportionnel à l’extrême torchabilité.
Ensuite, et surtout, il nous rappelle que le carburant de la guerre que nous gagnerons contre les monstres en puissance générés par la crise et la concupiscence (j’ai imaginé le beauf de Cabu du checkpoint du péage de Carcassonne en vétilleux gardien de camp de concentration) demeure, éternellement (même quand l’éducation, l’ordre et la culture ont failli), l’optimisme.
* Carcassonne, si près de Limoux, de Pieusse, terre natale de Delteil et de la blanquette Robert. Bulles délicieuses. Les chemises jaunes-brunes sont allées y jouer les cagoulards. Avec courage, face à une femme et des enfants. Les vrais hommes s’en souviendront, la cagoule (sans C majuscule) ne leur est pas inconnue.
** Parlera-t-on un jour des milliards de déplacements inutiles pour aller s’empoisonner à des prix plus bas que bas (…) à dix, vingt, trente kilomètres de chez soi (aller-retour)? De cette folie qui a dévasté villes moyennes et villages tout en enrichissant les magnats du pétrole? Chiffre tout bête de l’ADEME, un déplacement sur deux en automobile représente moins de cinq kilomètres. Pensons-y, et pédalons.
*** Je ne vais pas vous faire l’affront à vous, amoureux du vin, de vous présenter ce monument marmandais, presque girondin.
**** Se tenait le week-end dernier la Fête de l’Arbre à Montesquieu, et nous dînions donc entre autres avec Marc-André Sélosse.
***** Tiens, juste ce papier glaçant pour les abonnés du Monde.
****** Je repense notamment à cette journaliste immatriculée 75, révolutionnaire marketing, qui en septembre 2013, décrétait que le millésime ayant été grêlé (on le sait, la grêle touche toutes les vignes du pays au même moment…), il aurait « le goût de grêle » et qu’il n’était même pas la peine de le vendanger. Je pense à elle à chaque grand canon (et il y en a des wagons!) à chaque plaisir que ce millésime condamné d’avance m’offre. C’est ici que je parlais de cette nouvelle Élisabeth Tessier, voyante pinardière de première ordre, tendance pessimiste à visée commerciales.